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Enfants du Tourmalet
22 juin 2010

39 - Lettre de Lapize à Anelka et Evra

Lettre de Lapize à Anelka et Evra

Mardi 22 juin

"Il nous est parvenu, moi et mes 58 camarades qui, le 21 juillet 1910, furent précipités dans la traversée des Pyrénées centrales sur des vélos sans dérailleur par les organisateurs du Tour de France cycliste, il nous est parvenu un écho selon lequel vous auriez fait grève afin de défendre un petit camarade coupable de gros mots à l'encontre de son entraîneur.

"Ni moi, moi mes amis, n'avons voulu le croire. Le droit de grève est un droit trop sérieux pour qu'il soit galvaudé par des enfants plus que gâtés, pourris. Il y a cent ans de cela, chacun de nous travaillions alors que nous étions encore en culottes courtes. Nos tâches étaient lourdes, consistaient à aider nos pères dans leur labeur de force. Nous ne recevions aucun salaire, parfois une calotte pour avoir fainéanté un brin.

"Au printemps 1910, le directeur de "L'Auto" (ancêtre de "L'Equipe", un journal que vous aimez particulièrement si nous sommes bien informés) publia le parcours du prochain Tour de France. Nous découvrîmes avec angoisse que nous allions devoir traverser les Pyrénées en deux étapes seulement, par des chemins non carrossables et sur des vélos dont le seul luxe était de disposer de deux roues et d'un guidon. Comme nous étions déjà professionnels, nous avions reconnu ces deux étapes avec notre équipe "Alcyon". Notre ami Lucien Mazan, dit Petit-Breton, qui était déjà consultant pour "La Vie au Grand Air Illustrée", avait écrit à ce retour de reconnaissance : "Ces salauds veulent notre peau. S'ils nous envoient sur ces routes la nuit, ce sera un assassinat." Il n'y allait pas avec le dos de la cuillère... Nous partagions tous son avis.

"Pourtant, le 19 juillet, nous nous sommes élancés de Perpignan, direction Luchon avec au menu 289 kilomètres et 4 cols. Et le surlendemain, nous avons remis cela entre Luchon et Bayonne, 326 kilomètres et 6 cols. Nul d'entre nous ne fit grève, ni n'en menaça les organisateurs. Nous étions professionnels, nous avons simplement fait notre métier. Point barre, comme vous dites, je crois.

"Nous n'en avions pas tiré une gloire excessive, mais nous étions tout de même soulagés d'être parvenus au but sans y avoir laissé notre peau.

"Cent après, deux fous de vélo et d'histoire viennent de refaire ce que nous avions fait. Sur le même vélo que nous. Ils ont pu - un tout petit peu - se rendre compte de ce que nous avions vécu, enduré, souffert.

"Croyez-vous que, dans cent ans, il se trouvera un fou de football et d'histoire pour vous imiter ? Croyez-vous qu'il se trouvera un écrivain pour raconter votre aventure en Afrique, cette terre dont la plupart d'entre vous êtes originaire par vos racines et que vous avez pourtant salie de votre mépris ? A bien y chercher, il trouvera une explication sensée à votre mouvement : un entraîneur incompétent et méprisant, une fédération hantée d'incapables rimant avec notables. Il imaginera que votre coup de tête (et oui, il y a quatre ans, déjà, Zizou donnait l'exemple sans que grand monde trouve à redire...) aurait pu se manifester pour des manques graves de vos dirigeants, par exemple l'absence de brassard noir après la catastrophe de Draguignan, ou encore le choix de chambres d'hôtel pour milliardaires, à deux pas de townships, ce mot qui veut dire "bidonville".

"Mais non vous auriez, nous dit-on, fait grève parce qu'on t'avait puni, Nicolas, pour avoir injurié ton coach. Être solidaire dans ce cas-là, c'est être complice.

"Nous ne vous saluons pas, pas plus que nous ne saluons Fabian Cancellara et sa bicyclette électrique. Nous avons mieux à faire car, figurez-vous que nous sommes entourés d'enfants, de petits anges, qui nous demandent de leur raconter des histoires, "Il était une fois Luchon-Bayonne, le 21 juillet 1910" par exemple. Aucun d'entre eux ne nous a demandé de lui raconter "Il était une fois l'équipe (?) de France de football en Afrique du Sud, le 20 juin 2010."

Tant mieux car il n'y avait rien à raconter. Tout était à pleurer..."

Signé : Octave Lapize et les 58 rescapés
du 87 tour de France cycliste
qui prirent le départ de Luchon-Bayonne, il y a cent ans
et dont la plupart ne gagnèrent pas un sou, mais seulement
leur propre considération qui, il est vrai,
n'a pas de prix et, vraisemblablement,

la considération générale

qui vaut tous vos contrats.

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Commentaires
M
la "lettre" que tu as destinée à ces "footballers" est juste, censée, et résume ce que bon nombre du commun des mortels aurait eu envie de leur crier, mais je doute que les destinataires comprennent le message, car sur la planète foot et hélas, souvent politique, les critères sont: le fric le fric et encore le fric....<br /> ceci dit, encore bravo pour ce Luchon Bayonne fort en péripéties courageusement affrontées!
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  • Le Tour de France et le Tourmalet : une histoire d'amour vieille de cent ans ! J'ai donc décidé de faire revivre qui furent les premiers coureurs qui s'attaquèrent au Géant des Pyrénées mais aussi de refaire ce qu'ils accomplirent.
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